Limousin

L’eau du Mont Gargan

Je t’ai souvent montré le mont Gargan, à Châteauneuf-la-Forêt (87). Il fait partie des Monts du Limousin et sur son sommet arrondi, on voit une sorte de pointe qui est un des derniers vestiges de la jolie chapelle qu’avait fait construire un prêtre, jadis, jadis quand la foi était vive et que les paysans acceptaient de transporter des matériaux au sommet des montagnes, ce qui était un travail pénible et peu rémunérateur.
Il y a un peu au-dessous des restes de la chapelle, tournée vers le Midi, je crois, une sorte de petite fontaine en forme d’un bassin à bains de pieds qui jouit dans le pays d’une vertu miraculeuse. On prétend que cette fontaine guérit la fièvre typhoïde. Aucun savant, aucun docteur n’est venu vérifier ces dires ; mais je sais que cette eau a vraiment guéri une maman, sur la demande d’une petite fille.
Il y avait dans un petit village, au pied du mont Gargan, une maman veuve, qui vivait seule et triste avec sa fille Marinette, âgée alors de 8 ans. Marinette était une petite fille très pieuse, qui allait au catéchisme régulièrement et croyait sincèrement en la puissance et en la protection de sa bonne patronne Marie, la mère de Jésus-Christ, comme tu le sais. Or, Marinette aimait aussi – beaucoup sa maman. La maman et la fille n’étaient heureuses que l’une avec l’autre et ne pouvaient se passer l’une de l’autre. Un jour, en juillet, après une journée torride, la maman revint très lasse du petit champ de seigle qu’elle avait fini de moissonner. Elle fut prise d’un saignement de nez qu’aucun remède de bonne femme ne put arrêter. Le lendemain, des maux de tête se déclarèrent, suivis encore de violents saignements de nez. Puis la malade délira et un médecin appelé enfin pronostiqua la fièvre typhoïde.
Il faut que je te dise qu’à cette époque, encore bien avant la découverte du fameux vaccin contre la typhoïde, on sauvait très peu de personnes de ce terrible mal et souvent ceux qui étaient sauvés restaient fous ou déséquilibrés. Marinette entendit le docteur expliquer le danger à la brave femme qui était venue lui aider à soigner sa mère. Elle ne fut pas affolée davantage, car elle s’était rendu compte de son malheur. Comme sa mère ne pouvait ni l’entendre, ni lui parler, elle se sauva de sa maison et grimpa sur la montagne pour promener sa peine, comme disent les braves gens de chez nous. En réalité, elle voulait prier seule, souffrir seule, et, surtout implorer là-haut, dans la chapelle, sa deuxième mère, en qui elle mettait tout son espoir :
- Marie, sainte Marie. sainte Marie ma patronne, sauvez maman, sauvez maman, sainte Marie, je me consacrerai à vous, je vous servirai, je vous prierai toute ma vie. Sauvez maman, sainte Marie, sauvez maman, répétait-elle en se tordant les mains.
Puis elle resta encore longtemps prosternée et abîmée dans sa prière, lorsqu’il lui sembla que les larmes pressées qui coulaient sur ses joues brûlantes, lui apportaient un soulagement à sa douleur. Ce qui est vrai, ma petite fille, on souffre moins quand, on a pleuré et quand on a longtemps pensé aux causes de son malheur. Mais ce bien-être procuré par des larmes lui fut, on ne sait pourquoi, une révélation.
En revenant chez elle, elle trouva la petite fontaine sur le flanc de la montagne, trempa son mouchoir, puis son tablier dans l’eau claire et fraîche qui sourçait sous la bruyère, dit encore un « Ave Maria » et s’en alla rapidement envelopper sa maman de ces langes humides. La malade parut immédiatement soulagée. L’enfant, transfigurée, remonta à la source avec un grand récipient, le remplit à la fontaine de la montagne et passa la nuit à envelopper sa mère avec des linges humides qui lui procuraient un froid bienfaisant et un réel abaissement de sa cruelle fièvre.
Marinette priait avec confiance, agissait constamment, et alors que le médecin et la garde-malade jugeaient que sa mère était perdue, Marinette devenait de plus en plus calme et était persuadée du succès. Au bout de quarante jours, au grand étonnement du docteur et de tous les voisins, la mère de Marinette fut guérie.
La petite Marinette est une très vieille religieuse aujourd’hui. Elle s’est entièrement consacrée aux malades et à Dieu. Elle sait donner aux familles l’espoir et le calme, elle sait surtout savamment et patiemment soigner ceux qui souffrent et c’est peut-être pour la conduire à faire tout ce bien que Dieu lui a envoyé une épreuve à l’âge où ses petites épaules étaient bien frêles encore pour supporter la douleur.
Aime Dieu et la bonne Sainte Vierge, ma petite Marie-Laure, et sois sûre que, si tu sais les implorer dans tes grands malheurs, ils ne t’abandonneront pas.
Ta mamy F. M.

Françoise MYRH (1946)

L’ermitage de Mammascus

Meymac (19) n’est pas une ville moderne improvisée par de puissantes industries ; elle a son rang d’antiquité.
Un saint homme, appelé Mammacus, vint s’établir au pied d’un des anneaux de cette longue chaîne de montagnes qui, depuis les Monédières, s’élève insensiblement jusqu’au plateau de Millevaches, après avoir traversé sur une longue étendue le département de la Corrèze.
Il avait pour richesse sa piété, pour force sa vertu ; pour exemple, il montrait l’austérité de sa vie. Il avait fui le monde afin de répandre les lumières de la foi jusqu’au sein des peuplades barbares, et seul, sans défense, on le vit pénétrer dans la profondeur des bois et proclamer la grande nouvelle… la venue du rédempteur des hommes. Sa voix fut longtemps méconnue, mais un jour les échos redisent ses paroles, on accourt pour le voir et l’entendre, des familles entières quittent leur demeure et viennent habiter non loin de l’ermitage, au milieu des forêts.
Le site avait été bien choisi. De hautes montagnes protégeaient la bourgade et l’abritaient contre les vents froids, tandis qu’une large vallée, sillonnée par un ruisseau d’eau vive, s’étendait au midi entre deux mamelons.
Réunis par un sentiment commun de foi religieuse, les nouveaux adeptes bâtirent une église qui fut consacrée, en 546, par Rorice II, évêque de Limoges. Cette consécration mit le comble aux vœux du pieux ermite, et peu de jours après il échangeait contre les joies célestes les douleurs de la vie ; mais l’œuvre du saint anachorète devait lui survivre.
Après sa mort, le modeste ermitage fut transformé en prieuré, et le chapitre de Saint-Étienne de Limoges se chargea de pourvoir aux besoins du service religieux.

M. LABORDERIE (1844)

Le rocher de la fée

Le terme de “fade” par lequel nous désignons parfois nos fées appartient à la langue d’oc.
Près du bourg de Chambon-Sainte-Croix (23), existe lou daro de la fadée (le rocher de la fée), sujet de plusieurs histoires merveilleuses. Entre autres, on raconte que la reine des Fades, ayant à se plaindre des habitants de cette localité, fit tarir des sources thermales qui jadis sortaient de ce rocher et les fit jaillir, trois lieues plus loin, près de la ville d’Evaux, qui, à partir de ce moment, dut à ces eaux bienfaisantes toute sa prospérité. Pour faire cela, la fée eut à frapper le granit de son pied droit, dont lou daro de la fadée a gardé et gardera éternellement l’ineffaçable empreinte.

LAISNEL DE LA SALLE (1875)

La fontaine Saint-Martin

Saint Martin, encore enfant, s’était gagé dans une ferme du Poitou (à Vicq-sur-Breuilh - 87) pour garder les bestiaux ; et comme son grand désir était de s’instruire, ou tout au moins d’apprendre à lire, Martin, après avoir mis ses bêtes aux champs et s’être assuré qu’il ne leur manquait rien, se rendait à l’école à sept lieues de là, chez le maître du canton.
Un jour, l’instituteur lui fit observer qu’il était distrait.
— Maître, s’écrie l’enfant, j’entends le fermier qui m’appelle.
— Eh ! que dis-tu, Martin ? Comment peux-tu entendre de si loin, de sept lieues ?
— Tenez, Maître, mettez vot' pé (pied) su 1' min, et vous l’entendrez comme mal.
Et sitôt fait, il entendit la voix.
— Va, Martin, va ! celui que tu appelles ton maître n’est que ton serviteur.
Et se jetant à genoux, il lui baisa les pieds.
Quand Martin fut arrivé là-bas, bien loin, au bout de sept lieues, il trouva le fermier en grande colère.
— Ah ! mauvais gas ! je te payons pourtant ben cher ; j’avions confiance en ta vigilance, en ton honnêteté ; tu nous trompes, vilain maraud ! Laisser de même, quallés pauv' bêtes, les laisser mouri de séï !… (soif).
Martin, de sa voix douce, lui dit :
— Non ! les bœufs ne manquent de rien.
Et il appela le plus grand.
— Pichâo, vin ki ; tappe tonpé ki. (Petit, viens ici : frappe ton pied ici).
Et de la terre qu’il avait frappée jaillit une belle fontaine qu’on appela depuis la fontaine Saint-Martin.

Jean BRUNET (1886)

La Chartreuse de Glandier

Archambaud VI fonda la Chartreuse de Glandier (Beyssac - 19). Quel motif porta le vicomte de Combon à fonder une chartreuse dans ses domaines ? D’après la charte de fondation, ce serait simplement pour le salut de son âme et de celles de ses ancêtres, tandis que différentes légendes, très répandues dans le pays, rattachent toutes la fondation de Glandier à l’expiation d’un grand crime commis par Archambaud…
Voici quel serait ce crime : à la mort de Bertrand, abbé de Tulle en 1210, les moines voulaient élire Bernard de Ventadour, alors qu’Archambaud voulait faire nommer un de ses neveux ; il aurait employé et les promesses et les menaces, mais voyant que rien n’y faisait, il pénétra dans la salle du Chapitre où étaient réunis les moines pour l’élection et en tua sept. Archambaud repentant aurait été condamné à bâtir plusieurs monastères.

Abbé ÉCHAMEL (1935)